Dieu est le seul Législateur, tel est le principe de base de l’Islam en matière de droit.
Le Fiqh, que l’on a coutume de traduire par “Droit musulman” signifie littéralement “réflexion, compréhension, intelligence, sagesse” et désigne plutôt “la science de la Loi”.

UNE SCIENCE ORIGINALE

Ouvrons ensemble un manuel classique de droit islamique, par exemple, le “Kitàb al-umm” de Shàfi’î. L’originalité de ce droit nous saute aux yeux : il régit l’ensemble de la vie du croyant, tant dans ses aspects matériels que spirituels. Ainsi, le premier chapitre est-il généralement composé des règles cultuelles (‘ibàdàt). La deuxième partie traite des rapports contractuels de toutes sortes (droit civil, commercial…).
Le traité se poursuit par les chapitres des pénalités, dans lesquels on parle également de la diplomatie et du droit international. Enfin, on termine par les règles sur l’héritage et le testament.
Le Fiqh englobe donc à la fois le droit tel qu’il est conçu dans la société occidentale, et l’équivalent du “droit canon” (droit de l’Eglise), constituant ainsi une discipline spécifiquement islamique. Son but est de permettre l’application de la Loi religieuse (Shari’à), en particulier dans les cas nouveaux qui peuvent se présenter. Le Fiqh ne s’applique donc pas aux non-musulmans. Mais alors, quelles sont les lois qui s’appliquent aux étrangers en terre d’islam? L’islam tolérant sur son territoire la multiplicité des lois, chaque étranger était tout simplement soumis à la juridiction de sa propre communauté.
Autre particularité du Fiqh, le droit est toujours lié au devoir, non seulement dans les rapports des hommes entre eux, mais également dans les rapports de l’homme envers Dieu. Ainsi, la prière est-elle l’accomplissement d’un devoir qui correspond au droit de jouissance que Dieu accorde à l’homme dans ce monde.

A la lumière de ces aspects du Fiqh, on ne s’étonnera pas que les juristes fondent les lois sur la double base du bien et du mal. Le musulman a le devoir de taire le bien, de s’abstenir de faire le mai, et ce principe élémentaire et fondamental vaut aussi bien dans ses actes personnels, que dans ses relations avec autrui. Le bien comme le mal peut être absolu ou relatif. Aussi les règles juridiques classent-elles les commandements et interdictions en cinq catégories : ce qui est absolument bien sera un devoir obligatoire, ce qui a plus de bien que de mal sera recommandé, ce qui est absolument mal sera interdit, ce qui a plus de mal que de bien sera déconseillé. Entre ces deux groupes, les juristes mentionnent l’action licite, permise, neutre. Ces cinq catégories se subdivisent elles-mêmes de façon très nuancée. Il faut retenir que si un acte interdit l’est définitivement, un acte autorisé peut selon les circonstances glisser dans la catégorie des actes interdits ou déconseillés. Le Fiqh a aussi pour mission de prévoir et définir ces cas. Reste à savoir comment distinguer le bien du mal, et comment définir les règles à appliquer. Pour cela, il est nécessaire de se pencher sur la constitution du Fiqh.

LES SOURCES DU FIQH

Dieu étant le seul Législateur, le but premier des “Docteurs de la Loi” était d’appliquer les principes du Coran et de la Sunna aux cas nouveaux. Cette réflexion a pu subir au fil des temps, des influences extra-islamiques. Mais le Fiqh, se situe d’abord et avant tout en fonction du Coran et de la Sunna. Du temps du Prophète Mohammad (Paix Soit Sur Lui), les problèmes de droit étaient réglés directement. Puis, durant la période suivante, les problèmes nouveaux en nombre limité étaient résolus sans trop de problème en se référant au Coran et à la Sunna. Mais au fur et à mesure, le besoin d’une science du droit s’est fait ressentir. Les premiers spécialistes vraiment connus en jurisprudence religieuse vivent au 1er siècle de l’Hégire, les premières écoles apparaissant au 2ème siècle.
Ces spécialistes et les écoles qu’ils ont fondé ont peu à peu défini, clarifié et précisé les notions et principes qui gouverneront les attitudes des “Docteurs de la Loi”. Les “sources du droit” ont été ainsi mises en évidence et systématisées. Elles constituent à elles seules une discipline à part entière, sorte de philosophie du droit.
On en compte habituellement quatre, les deux premières étant les textes du Coran et de la Sunna. L’utilisation juridique de ces deux premières sources dépendra des deux autres sources. Celles-ci ne sont plus des textes, mais des modes selon lesquels se forme le jugement.

1) Le Coran.
Source écrite incontestée et incontestable, on a pu dire qu’il renfermait la totalité du droit musulman Cela est vrai dans la mesure où il est le point de référence premier du Fîqh. Les versets traitant directement du Fiqh sont de l’ordre de 500 à 600, soit moins d’un dixième du Texte Sacré. D’où la nécessité de puiser à d’autres sources.

2) La Sunna. C’est la mise par écrit de l’ensemble des paroles (Hadith) et des actes du Prophète Mohammad (SAW). On peut évaluer entre 2000 et 3000 le nombre de Hadiths traitant de droit.

3) Le raisonnement analogique (Quiyàs). Il se réfère toujours aux deux premières sources écrites. On statue donc en prenant comme exemple des cas présentant des similitudes, et traités par le Coran ou la Sunna.

4) L’idjmàh ou consensus unanime de la Communauté (en fait de ses représentants qualifiés pour discuter de droit). En l’absence d’une autorité législative pouvant établir des règles de droit, c’est la seule façon de faire évoluer les lois.
Rappelons que dans l’islam, il n’existe pas d’équivalent du Pape. On comprend donc la prudence extrême mise d’abord à justifier l’Idjmàh, ensuite à le réglementer. Trois Hadiths ont amené les juristes à envisager l’Idjmàh – ‘Ma Communauté ne tombera pas d’accord sur une erreur”. – “Quiconque se sépare de la Communauté d’un empan, retire son cou de l’islam” – ‘Quiconque meurt séparé de la Communauté meurt comme Si l’on mourait dans l’Antè-lslam”. De ces trois Hadiths, on peut déduire que toute opinion non condamnée unanimement par la Communauté, ne constitue pas un motif d”’excommunication”. Mais il fallait à l’idjmàh une justification coranique également. C’est., d’après la Tradition, à l’imam Shàfî’i que revient le mérite de l’avoir trouvée, après dit-on trois jours de labeur:
“Celui qui suivra une autre route que celle des Croyants, Nous le chargerons de ce dont il s’est chargé – Nous lui ferons affronter la Géhenne, et quel détestable devenir” (Coran, 4,115).

Une fois l’idjmàh justifié, restait à définir, d’une part ce qu’on entendait par Communauté, d’autre part la façon dont devait se manifester concrètement ce consensus. Les différentes écoles ne sont pas tout à fait d’accord sur ces questions. Disons pour simplifier, qu’on distingue habituellement deux sortes d’idjmàh –
ldjmàh explicite, et par suite, décisif et irréformable, qui seul a pleine valeur de “source”. Il résulte d’une décision prise par un groupe de savants, en nombre suffisamment élevé, qui se prononce à l’unanimité, et avec l’approbation tacite des autres docteurs contemporains. Il obéit à des règles très strictes – principe de conformité : bien entendu, s’appuyant sur les deux premières sources (Coran et Sunna), il ne peut être en contradiction avec elles – principe d’unanimité : une seule voix autorisée suffit pour rompre un ldjmàh au moment de sa formulation – principe d’irrévocabilité : une fois celui-ci exprimé, on ne peut revenir sur l’ldjmàh explicite. –
Idjmàh tacite. C’est typiquement le cas d’une opinion communément admise, sans plus. L’ldjmàh tacite, lui, est toujours révisable, et peut éventuellement être confirmé ou infirmé par un idjmàh explicite. En dehors de ces quatre sources communément admises (les deux premières étant, rappelons-le une fois de plus, indiscutées) d’autres sources secondaires sont plus ou moins reconnues, parfois considérées avec méfiance, selon les écoles. L’une des plus notables est le “coup d’oeil” ou ‘jugement personnel” (ra’y). Selon l’école, ce jugement s’appuiera avant tout, ou bien sur l’utilité et le bien public (maslaha), ou encore sur la préférence personnelle en vue du bien (istihsàn). Le ‘urf ou coutume (droit coutumier et droits extra-islamiques, byzantin, sassanide, talmudique…) constitue de fait une autre source.

Le fait de se référer à ces sources pour prendre une décision constitue l’idjtihàd : effort personnel du savant, effort encouragé par plusieurs Hadiths. On voit qu’il ne s’agit pas d’un total libre-examen, mais d’une recherche personnelle guidée. On considère généralement que durant les deux ou trois premiers siècles de l’Hégire fut pratiqué l’idjtihàd “absolu” (celui des grands fondateurs). Une fois les écoles constituées, l’ldjtihàd devint relatif (il ne s’exerça plus qu’à l’intérieur d’une même école, personne n’osant plus s’écarter des sentiers battus). Plus tard, on se limita à la simple acceptation passive (taqlîd) des règles d’école, le rôle de “conseiller juridique” (mufti) devant se borner à l’application à bon escient d’une jurisprudence déjà établie. La recherche personnelle fut alors remplacée par l’élaboration de recueils de ces décisions (fatàwà).

Faizal OMARJEE
Courtoisie “Espace de l’Islam”